- CÉVENOL (PROPHÉTISME)
- CÉVENOL (PROPHÉTISME)CÉVENOL PROPHÉTISMEDéjà avant la révocation de l’édit de Nantes (oct. 1685) et aussi par la suite, après la mort des principaux chefs camisards en 1704, mais surtout au cours de ces vingt années d’intervalle, des inspirés, prophètes et prophétesses, apparaissent dans le sud-est de la France, au sein d’un protestantisme pourtant marqué par la tradition calviniste et hostile à l’illuminisme. Ce phénomène s’explique par l’application «à la rigueur» de l’édit, qui précède la révocation de celui-ci. La contradiction alors est grande entre, d’une part, le loyalisme qui caractérise les théologiens et pasteurs, sauf rares exceptions, à l’endroit du roi, ainsi que les espoirs des «accommodeurs», et, d’autre part, le démembrement, voire la désintégration, souvent sous la contrainte, des communautés réformées et, surtout, la disparition de la quasi-totalité du corps pastoral, forcé à la «conversion» ou à l’exil. En l’absence des pasteurs, c’est le fonds de la piété protestante, joint à un appel à la repentance, et, souvent, une prédication sur la délivrance prochaine qui vont s’exprimer, en termes bibliques, par la bouche d’enfants, de femmes, puis de «prophètes». Des visions, des «miracles», des transes et autres «merveilles» accréditent ces ministres surgis en dehors de tout cadre institutionnel et de toute «discipline».L’histoire de ce mouvement n’est pas aisée à établir. Elle a d’abord été consignée dans des rapports des autorités chargées d’enquêtes et de poursuites, dans les écrits de personnalités hostiles à divers titres (tels les Écrits et Lettres de l’évêque de Nîmes, Fléchier, ou l’Histoire du fanatisme de notre temps de D. Brueys, Utrecht, 1737), dans des recueils et des Mémoires, dont les récits sont altérés par la censure, ainsi que par l’hagiographie (ainsi, les Mémoires de J. Cavalier, ou le Théâtre sacré des Cévennes , édité à Londres, en 1707). Enfin, à l’exception de Jurieu dont les Lettres pastorales aux fidèles qui gémissent sous la captivité de Babylone (1686-1689), largement diffusées, ont exercé une grande influence, les pasteurs et théologiens du Refuge ont eu un jugement négatif sur ce mouvement. Les premières voix prophétiques se sont fait entendre, après quelques «rumeurs» en Béarn, dans les Cévennes et dans le Diois. Souvent, on désigne (dès 1686?) comme initiateur le verrier Amos du Ferré, de Dieulefit; puis, à Bourdeaux (Drôme), apparaissent de jeunes bergers, Bompart, Mazet, Pascalin; Isabeau Vincent enfin, de Saou, a son «inspiration» inaugurale dans la nuit du 2 au 3 février 1688. Les premières mesures répressives (éloignement d’Isabeau Vincent à Grenoble) ne peuvent enrayer la contagion, qui bientôt franchit le Rhône (Gabriel Astier), et agite le Vivarais (Alexandre Astier, Louis Vallette). Des heurts violents ont lieu dans les Boutières, en 1689, entre l’armée et des assemblées animées par les prédicateurs. Des traces de l’activité de ces prophètes inspirés peuvent être retrouvées dans le Dauphiné jusqu’en 1693, dans le Vivarais jusqu’en 1701. À partir de cette date, le mouvement s’étend au Sud: avec Daniel Raoul vers Alès et Uzès, puis avec Pierre Mandagout; jusque vers Nîmes avec Pierre Rouergas. Il se propage ensuite en direction des Cévennes, mais aussi de la mer.Son histoire se confond alors avec celle de la révolte des camisards (1702-été de 1704), du meurtre de l’abbé du Chayla, à Barre-des-Cévennes, à la mort de Pierre Laporte. Les premiers à recevoir le «don» sont notamment Pierre Séguier, ou Séquier, dit Esprit, de Magistravols près de Cassagnas; Jean Rampon, de Pont-de-Montvert; Gédéon Laporte, de Branoux; Salomon Couderc, de Saint-André-de-Lancize; Élie Marion, de Barre-des-Cévennes; Abraham Mazel, de Faugières. Certains d’entre eux sont surtout des prédicateurs qui exhortent des assemblées clandestines ou participent à la vie des bandes auxquelles ils sont liés et dont ils orientent, selon leur «inspiration», les actions, les combats et les retraits; d’autres sont en même temps de véritables chefs militaires, tels Pierre Laporte, dit Roland, et Jean Cavalier, qui ont aussi leur part de révélations personnelles.L’activité d’un tel mouvement, lié à partir de 1701 à l’entreprise des camisards, a été contestée. Ceux des «prophètes» qui ont pu quitter le royaume de France en firent les premiers l’expérience: ce fut le cas d’Abraham Mazel (mort en 1710), puis d’Élie Marion, qui, après un séjour à Genève, tenta de revenir en France en 1706, mais dut se rendre à Londres (où il contribua au Théâtre sacré des Cévennes ; il rédigea le Cri d’alarme en avertissement aux nations ..., publié en 1712; le Plan de la justice de Dieu sur la terre dans ces derniers jours... , en 1714; et Quand vous aurez saccagé, vous serez saccagés... , en 1714), puis il parcourut l’Europe avant de mourir à Livourne en 1713. Le Refuge n’est pas pour ces prophètes une terre de bon accueil. Lorsque l’Église fut réorganisée sous l’impulsion d’Antoine Court, cela se fit dans une perspective hostile à la prise en charge des communautés par des personnages charismatiques. Plus tard encore, et même une fois que l’hagiographie protestante se fut emparée de cette histoire et de ses protagonistes, l’interprétation du mouvement resta ambiguë. On s’accorde pour reconnaître à ses acteurs le mérite d’avoir maintenu une certaine continuité de la vie protestante dans des territoires bien déterminés, en y provoquant comme un mouvement de réveil fondé sur des références bibliques évidentes, mais animé aussi par bien d’autres motifs complexes.
Encyclopédie Universelle. 2012.